Mobiliser pour la santé et la sécurité du travail dans les entrepôts: des travailleurs d’agences au taylorisme numérique
L’établissement récent, dans la grande région de Montréal, des entrepôts et des centres de distribution d’Amazon témoigne non seulement de l’expansion constante de ce secteur d’emploi, mais aussi de l’introduction d’une nouvelle figure de l’organisation du travail, que la littérature désigne sous le nom de taylorisme numérique. Cette nouvelle forme d’organisation a des impacts délétères importants en matière de santé et de sécurité au travail : intensification du travail, fortes pressions alimentées par la surveillance électronique, entraînant des blessures. Il est d’autant plus pertinent de l’étudier que, selon des observateurs, Amazon serait, au 21e siècle, l’équivalent ce que Ford était au siècle dernier, soit un modèle structurant pour tous les secteurs de l’économie.
Prenant acte de l’expansion du taylorisme numérique, l’Association des travailleurs et travailleuses d’agences de placement (ATTAP), organisme partenaire à l’origine de ce projet, éprouve le besoin de mieux comprendre les liens entre les modèles émergents du travail en entrepôts, les conditions de travail et d’emploi associées, le profil des travailleurs/euses embauchés ainsi que leurs pratiques de résistance individuelles et collectives et ce, afin de poursuivre ses activités d’organisation, d’éducation populaire et de promotion de politiques publiques visant la protection des travailleurs/euses d’agences.
Le projet a été construit et sera mené conjointement par l’ATTAP et le Groupe interdisciplinaire et interuniversitaire de recherche sur l’emploi, la pauvreté et la protection sociale (GIREPS), dont sont membres la candidate principale, un co-chercheur, les deux chercheurs collaborateurs ainsi que les deux doctorant/es (dont le stagiaire MITACS). Il formule l’hypothèse (1) que les problèmes et les enjeux du travail en entrepôt, ainsi que les possibilités de résistance individuelle et collective des travailleurs/euses, se différencient selon le degré de technologisation et selon les modalités du contrôle exercé sur les travailleurs/euses, et (2) que cette différenciation se conjugue avec la segmentation genrée et racisée de la main-d’oeuvre.
Plus concrètement, la production d’une étude de cas multiples sur trois “modèles” d’entrepôts emblématiques de ces différences (Dollarama, Amazon, Marché Goodfood) permettra d’identifier les conditions de travail (et en particulier de santé et de sécurité) et d’emploi qui sont propres aux différents modes d’organisation et de contrôle sur le travail, tout en mettant en relief les lignes de continuité et les tendances générales du secteur de l’entreposage dans la grande région montréalaise. Elle permettra aussi de vérifier comment chacun des modèles se construit sur l’embauche de segments particuliers de main-d’oeuvre (genre, origine ethnoculturelle, statut d’immigration, statut d’emploi).
Tout aussi important, cette démarche de recherche-action mise sur la participation de militants-travailleurs des entrepôts étudiés, contribuant au développement de l’empowerment de personnes directement touchées, ainsi qu’au renforcement de la capacité organisationnelle de l’ATTAP à rejoindre et mobiliser de nouveaux membres. L’objectif ultime de la démarche est en effet, pour l’ATTAP, de développer des pistes d’action et de mobilisation collective permettant d’améliorer les conditions de travail et d’emploi dans les entrepôts, et de formuler en ce sens des revendications à l’intention des acteurs institutionnels et des décideurs publics.
L’étude de cas croisera trois types de données validées par triangulation : 1) de courts questionnaires distribués à 50 travailleurs/euses de chacun des entrepôts étudiés; 2) des entretiens semi-directifs avec 24 répondants/es; 3) l’analyse des rapports d’inspection et des plaintes déposées à la CNESST